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petit corps qui se peust recueillir et couvrir soubs un bouclier, va bien plus seurement que ne faict un bien grand, qui est descouvert et opportun aux coups. Elle n’est subjecte à recepvoir de grands dommages ny charges de grands travaux. Dont ceux qui sont en cest estat sont tousiours plus gays et joyeux ; car ils n’ont pas tant de soucy, et craignent moins la tempeste. Ceste telle poureté est delivrée, gaye, asseurée, nous rend vrayement maistres de nos vies, dont les affaires, les querelles, les procez qui accompagnent necessairement les riches, emportent la meilleure partie. Hé ! Quel bien est-ce là, d’où nous viennent tant de maux, qui nous faict endurer des injures, qui nous rend esclaves, qui trouble le repos de l’esprit, qui apporte tant de jalousies, soupçons, crainctes, frayeurs, desirs ? Qui se fasche de la perte de ses biens est bien miserable ; car il perd et les biens et l’esprit tout ensemble. La vie des poures est semblable à ceux qui navigent terre à terre ; celle des riches à ceux qui se jettent en pleine mer. Ceux-cy ne peuvent prendre terre, quelque envie qu’ils en ayent ; il faut attendre le vent et la marée : ceux-là viennent à bord quand ils veulent. Finalement, il se faut representer tant de grands et