Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome III, 1827.djvu/104

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas faire comme les bouquetieres, qui pilottent par cy par là des fleurs toutes entieres, et telles qu’elles sont les emportent pour faire des bouquets, et puis des presens : ainsi font les mauvais estudians qui amassent des livres plusieurs bonnes choses, pour puis en faire parade et monstre aux autres : mais il faut faire comme les mouches à miel, qui n’emportent poinct les fleurs comme les bouquetieres, mais s’assiant sur elles, comme si elles les couvoient, en tirent l’esprit, la force, la vertu, la quintessence, et s’en nourrissent, en font substance, et puis en font de très bon et doux miel, qui est tout leur : ce n’est plus thym ni marjolaine. Aussi faut-il tirer des livres la moëlle, l’esprit (sans s’assubjectir à retenir par coeur les mots, comme plusieurs font, moins encore à retenir le lieu, le livre, le chapitre ; c’est une sotte et vaine superstition et vanité, qui faict perdre le principal), et ayant succé et tiré le bon, en paistre son ame, en former son jugement, et instruire et reigler sa conscience et ses opinions, rectifier sa volonté, bref en faire un ouvrage tout sien, c’est-à-dire un honneste homme, sage, advisé, resolu. (…).