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Certes nature en chascun de nous est suffisante et douce maistresse à toutes choses, si nous la voulons bien escouter, l’employer, l’esveiller ; et n’est besoin aller quester ailleurs, ny mendier de l’art et des sciences, les moyens, les remedes et les reigles qui nous font besoin : un chascun de nous, s’il vouloit, vivroit à son aise du sien. Pour vivre content et heureux, il ne faut poinct estre sçavant, courtisan, ny tant habile ; toute ceste suffisance, qui est au-delà la commune et naturelle, est vaine et superflue, voire apporte plus de mal que de bien. Nous voyons les gens ignorans, idiots et simples, meiner leur vie plus doucement et gayement, resister aux assauts de la mort, de l’indigence, de la douleur, plus constamment et tranquillement que les plus sçavans et habiles. Et si l’on y prend bien garde, l’on trouvera parmy les paysans et autres poures gens des exemples de patience, constance, equanimité, plus purs que tous ceux que l’eschole enseigne ; ils suyvent tout simplement les raisons et la conduicte de nature, marchent tout doucement et mollement aux affaires, sans s’eschauffer ou s’elever, et ainsi plus sainement : les autres montent sur leurs grands chevaux, se gendarment, se bandent et tiennent tousiours en cervelle et en agitation. Un grand maistre et admirable docteur en la nature a esté Socrates, comme en l’art et science Aristote. Socrates, par les plus simples et naturels propos, par similitudes et inductions