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mine, de honte et craincte de dire le contraire) en font grand feste, l’honorent et recommandent tousiours en premier lieu, se disent estre ses serviteurs et affectionnez poursuyvans ; mais j’auray de la peine à monstrer et persuader quelle est la vraye et essentielle que nous requerons icy : car celle qui est en vogue et en credit, dont tout le monde se contente, qui est la seule cogneuë, recherchée et possedée (j’en excepte tousiours quelque peu de sages), est bastarde, artificielle, faulse et contrefaicte. Premierement nous sçavons que souvent nous sommes meinés et poussés à la vertu, et à bien faire par des ressorts meschans et reprouvés, par defaut et impuissance naturelle, par passion et le vice mesme. La chasteté, sobrieté, temperance, peuvent arriver en nous par deffaillance corporelle ; le mespris de la mort, patience aux infortunes, et fermeté aux dangers, vient souvent de faute d’apprehension et de jugement ; la vaillance, la liberalité, la justice mesme, de l’ambition ; la discretion, la prudence, de craincte, d’avarice. Et combien de belles actions a produict la presomption et temerité ! Ainsi les actions de vertu ne sont souvent que masques, et en portent le visage ; mais elles n’en ont pas l’essence : elles peuvent bien estre dictes vertueuses pour la consideration d’autruy et du visage qu’elles portent en public ; mais en verité et chez l’ouvrier, non ; car il se trouvera que le profict, la gloire, la coustume, et autres telles causes estrangeres, nous