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à leur debvoir ! et en voylà un en sa maison qui n’oseroit avoir regardé le danger, qui se passionne de l’issue de cette guerre, et en a l’ame plus travaillée, que le soldat qui y employe sa vie, son sang.

Au reste il faut bien sçavoir distinguer et separer nous-mesmes d’avec nos charges publiques ; un chascun de nous joue deux roolles et deux personnages, l’un estranger et apparent, l’autre propre et essentiel. Il faut discerner la peau de la chemise : l’habile homme fera bien sa charge, et ne laissera pas de bien juger la sottise, le vice, la fourbe, qui y est. Il l’exercera, car elle est en usage en son pays, elle est utile au public, et peust-estre à soy, le monde vit ainsi, il ne faut rien gaster. Il se faut servir et se prevaloir du monde tel qu’on le trouve ; cependant le considerer connue chose estrangere de soy, sçavoir bien de soy jouir à part, et se communiquer à un sien bien confident, au pis aller à soy-mesme[1].

  1. Les idées et quelques parties des phrases de tout ce paragraphe, sont prises dans Montaigne, L. III, chap. x. On y lit, par exemple : « un honneste homme n’est pas comptable du vice ou sottise de son mestier, et ne doibt pourtant en refuser l’exercice ; c’est l’usage de son pays, et il y a du proufit ». etc.