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vains et frivoles, comme au jeu, où celuy qui est saisi et transporté d’une si ardente soif de gaigner, se trouble et perd. Celuy qui va moderement est tousiours chez soy ; sans se picquer, conduict son faict et plus advantageusement, et plus seurement, et plus gayement : il feinct, il ploye, il differe tout à son aise selon le besoin : s’il faut d’attaincte, c’est sans tourment et affliction, prest et entier pour une autre nouvelle charge ; marche tousiours la bride à la main : festinat lente . Tiercement ceste violente et tant aspre affection infecte et corrompt mesme le jugement ; car suyvant un party et desirant son advantage, ils forcenent s’il en vient au rebours, luy attribuent des faulses loüanges et qualitez, et au party contraire faulses accusations, interpretent tous prognostics et evenemens à leur poste, et les font servir à leur dessein. Faut-il que tous ceux du party contraire et malade soyent aussi meschans, et que tous vices leur conviennent : voire et encore ceux qui en disent et remarquent quelque bien soyent suspects estre de leur party ? Ne peust-il pas estre qu’un honneste homme, au reste, au moins en quelque chose, se trouve embarqué et suyve un mauvais party ? Que la passion force la volonté, mais qu’elle emporte encore le jugement