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souverain, sçavoir la liberalité tant convenable au prince, qu’il luy est moins messeant d’estre vaincu par armes que par magnificence. Mais en cecy est requise une très grande discretion, autrement elle seroit plus nuisible qu’utile. Il y a double liberalité, l’une est en despense et en monstre : ceste-cy ne sert à gueres. C’est chose mal à propos aux souverains vouloir se faire valoir et paroistre par grandes et excessifves despenses, mesmement parmy leurs subjects, où ils peuvent tout. C’est tesmoignage de pusillanimité, et de ne sentir pas assez ce que l’on est, outre qu’il semble aux subjects spectateurs de ces triomphes, qu’on leur faict monstre de leurs despouilles, qu’on les festoye à leurs despens, qu’on repaist leurs yeux de ce qui debvroit repaistre leur ventre. Et puis le prince doibt penser qu’il n’a rien proprement sien : il se doibt soy-mesme à autruy. L’autre liberalité est en dons faicts à autruy : ceste-cy est beaucoup plus utile et loüable ; mais si doibt-elle estre bien reiglée ; et faut adviser à qui, combien et comment l’on donne. Il faut donner à ceux qui le meritent, qui ont faict service au public, qui ont couru fortune et travaillé en guerre. Personne ne leur enviera, s’il n’est bien meschant. Au contraire grande largesse