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LIVRE I, CHAPITRE VI.

La beauté du visage gist en un front large et quarré, tendu, clair et serein ; sourcils bien rangez, menus et deliez ; l’œil bien fendu, gay et brillant ; je laisse la couleur en dispute : le nais bien vuidé ; bouche petite, aux levres coralines ; menton court et forchu ; joues relevées, et au milieu le plaisant gelasin [1] ; oreille ronde et bien troussée ; le tout avec un teint vif, blanc et vermeil. Toutesfois cette peincture n’est pas reçue par-tout : les opinions de la beauté sont bien differentes selon les nations. Aux Indes la plus grande beauté est en ce que nous estimons la plus grande laideur, sçavoir en couleur basanée, levres grosses et enflées, nais plat et large, les dents teintes de noir ou de rouge, grandes oreilles pendantes ; aux femmes front fort petit et velu, les tetins grands et pendans, afin qu’elles puissent les bailler à leurs petits par dessus les espaules, et usent de tout artifice pour parvenir à cette forme : sans aller si loin, en Espagne la beauté est vuidée et estrillée ; en Italie, grosse et massive. Aux uns plaist la molle, delicate, et mignarde ; aux autres la forte, vigoureuse, fiere, et magistrale.

La beauté du corps, specialement du visage, doibt selon raison demonstrer et tesmoigner une beauté en

    sur sa face ». — On trouve la même pensée dans Cicéron : Corpus est quasi vas animi, aut aliquod receptaculum, etc. Tusc. I.

  1. L'agréable petite fossette qui se fait au milieu des joues, quand on rit ; du grec γελασινός, rieur, γέλιο, je ris.