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LIVRE I, CHAPITRE VI.

Au visage humain y a plusieurs grandes singularités, qui ne sont point aux bestes (dont à vray et bien dire elles n’ont point de visage) ny aux autres parties du corps humain : 1. Nombre et diversité de pieces, et de façon en icelles ; aux bestes le menton, les joues, le front n’y sont point, et beaucoup moins de façon. 2. Varieté de couleurs, car en l’œil seul le noir, le blanc, le verd, le bleu, le rouge, le cristalin. 3. Proportion, les sens y sont doubles, se respondans l’un à l’autre, et se rapportans si bien, que la grandeur de l’œil est la grandeur de la bouche [1], la largeur du front est la longueur du nais, la longueur du nais est celle du menton et des levres. 4. Admirable diversité des visages, et telle qu’il ne s’en trouveroit deux semblables en tout et par tout : c’est un chef-d’œuvre qui ne se trouve en toute autre chose. Cette diversité est très utile à la societé humaine ; premierement pour s’entre-recognoistre, car maux infinis, voire la dissipation [2] du genre humain, s’ensuivroit, si l’on venoit à se mesconter [3] par la semblance des visages : ce seroit une pire confusion que celle de Babel : l'on prendroit sa fille pour sa seur, pour une estrangere, son ennemy pour son amy. Si nos faces n'estoient pas semblables, l'on ne sçauroit dis-

  1. Tout ceci n'est pas toujours vrai.
  2. La dispersion.
  3. Se méprendre par la ressemblance.