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LIVRE I, CHAPITRE VI.


recommandation au commerce des hommes. C’est le premier moyen de conciliation des uns aux autres, et est vray-semblable que la premiere distinction qui a esté entre les hommes, et la premiere consideration qui donna preeminence aux uns sur les autres, a esté l’advantage de la beauté : c’est aussi une qualité puissante ; il n’y en a point qui la surpasse en credit, ny qui ayt tant de part au commerce des hommes. Il n’y a barbare si resolu qui n’en soit frappé. Elle se presente au devant ; elle seduit et preoccupe le jugement, donne des impressions et presse avec grande authorité ; dont Socrates l’appelloit une courte tyrannie, Platon, le privilege de nature. Car il semble que celuy qui porte sur le visage les faveurs de la nature imprimées en une rare et excellente beauté, ayt quelque legitime puissance sur nous, et que tournant nos yeux à soy, il y tourne aussi nos affections, et les y assujectisse malgré nous. Aristote dit qu’il appartient aux beaux de commander, qu’ils sont venerables après les dieux, qu’il n’appartient qu’aux aveugles de n’en estre touchés. Cyrus, Alexandre, Cæsar, trois grands commandeurs des hommes, s’en sont servis en leurs grandes affaires, voire Scipion le meilleur de tous. Beau et bon sont confins, et s’expriment par mesmes mots en grec [1] et en l’escriture saincte. Plusieurs grands philosophes ont acquis leur

  1. Καλά, en grec, a, en effet, cette double signification.