se contrainct ; la crainte, la honte, l’ambition, et autres passions, luy font jouer ce personnage que vous voyez. Pour le bien cognoistre il le faut voir
en son privé, et en son à-tous-les-jours. Il est
bien souvent tout autre en la maison, qu’en
la rue, au palais, en la place ; autre avec ses
domestiques qu’avec les estrangers. Sortant
de la maison pour aller en public, il va jouer
une farce : ne vous arrestez pas là ; ce n’est
pas luy, c’est tout un autre ; vous ne le
cognoistriez pas
[1].
La cognoissance de soy ne s’acquiert point par tous ces quatre moyens, et ne devons nous y fier ; mais par un vray, long et assidu estude de soy, une serieuse et attentifve examination non-seulement de ses paroles et actions, mais de ses pensées plus secrettes (leur naissance, progrez, durée, repetition), de tout ce qui se remue en soy, jusques aux songes de nuict, en s’espiant de près, en se tastant souvent et à toute heure, pressant et pinçant jusques au vif. Car il y a plusieurs vices en nous cachez, et ne se sentent à faute de force et de moyen, ainsi que le serpent venimeux qui, engourdi de froid, se laisse manier sans danger. Et puis il ne suffist pas de recognoistre sa
- ↑ Toutes ces idées se trouvent dans Montaigne, en divers endroits, mais plus particulièrement dans le chapitre Ier. du livre II des Essais, qui a pour titre de l’inconstance des actions.