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LIVRE I, CHAPITRE I.


quiert pas par autruy, c’est-à-dire par comparaison, mesure, ou exemple d’autruy ;

Plus aliis de te, quam tu tibi credere noli.[1]

moins encore par son dire et son jugement,qui souvent est court à voir, et desloyal ou craintif à parler ; ny par quelque acte singulier, qui sera quelquesfois eschappé sans y avoir pensé, poussé par quelque nouvelle, rare et forte occasion, et qui sera plustost un coup de fortune, ou une saillie de quelque extraordinaire enthousiasme, qu’une production vrayement nostre. L’on n’estime pas la grandeur, grosseur, roideur d’une riviere, de l’eaue qui luy est advenue par une subite alluvion et desbordement des prochains torrens et ruisseaux ; un fait courageux ne conclut pas un homme vaillant, ny un œuvre de justice l’homme juste : les circonstances et le vent des occasions et accidens nous emportent et nous changent ; et souvent l’on est poussé à bien faire par le vice mesme. Ainsi l’homme est-il très difficile à cognoistre. Ny aussi par toutes les choses externes et adjacentes au dehors ; offices, dignités, richesses, noblesse, grace, et applaudissement des grands ou du peuple. Ny par ses desportemens faits en public : car comme, estant en eschec, l’on se tient sur ses gardes, se retient,

  1. « Ne t'en rapporte pas tant aux autres sur toi, qu'à toi-même. »