borgne : car estant homme comme les autres, foible et miserable, il le sçavoit bien, et recognoissoit de bonne foy sa condition, se regloit et vivoit
selon elle. C’est ce que vouloit dire la verité à
ceux qui, pleins de presomption, par mocquerie
luy ayant dict, nous sommes donc, à
ton dire, aveugles ? Si vous l’estiez, dict-il,
c’est-à-dire le pensiez estre, vous y verriez ; mais
pource que vous pensez bien y voir, vous demeurez
du tout aveugles
[1] : car ceux qui voyent
à leur opinion sont aveugles en verité ; et qui
sont aveugles à leur opinion, ils voyent. C’est
une miserable folie à l’homme de se faire
beste pour ne se cognoistre pas bien homme :
homo enim cum sis, id fac semper intelligas
[2]
plusieurs grands, pour leur servir de bride et
de regle, ont ordonné que l’on leur sonnast
souvent aux oreilles qu’ils estoient hommes.
O le bel estude, s’il leur entroit dedans le
cœur comme il frappe à leur oreille ! Le mot
des atheniens à Pompeius Le Grand :
Autant es-tu dieu comme tu le recognois homme, n’estoit pas trop mal dict : au moins c’est estre homme excellent que de se bien cognoistre homme.
La cognoissance de soy (chose très difficile et rare, comme se mesconter et tromper très facile) ne s'ac-