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DE LA SAGESSE,


tale de discipline et de verité. Qui remarquera bien tous les maux qu’il a couru, ceux qui l’ont menacé, les legeres occasions qui l’ont remué d’un estat en un autre, combien de repentirs luy sont venus en la teste, se preparera aux mutations futures, et à la recognoissance de sa condition, gardera modestie, se contiendra en son rang, ne heurtera personne, ne troublera rien, n’entreprendra chose qui passe ses forces : et voilà justice et paix par-tout. Bref nous n’avons point de plus beau miroir et de meilleur livre que nous-mesmes, si nous y voulions bien estudier comme nous devons, tenant tousiours l’œil ouvert sur nous et nous espiant de près.

Mais c’est à quoy nous pensons le moins, nemo in sese tentat descendre [1] dont il advient que nous donnons mille fois du nais [2] en terre, et retombons tousjours en même faute, sans le sentir, ou nous en donner beaucoup. Nous faisons bien les sots à nos despens : les difficultés ne s’apperçoivent en chaque chose que par ceux qui s’y cognoissent ; car encore faut-il quelque degré d’intelligence à pouvoir remarquer son ignorance : il faut pousser à une porte pour sçavoir qu’elle nous est close. Ainsi de ce que chascun se voit si resolu et satisfait, et que chascun pense estre

  1. « Personne ne tente de descendre en soi-même ». Juv.
  2. Nais pour nez : cette orthographe existe encore dans notre mot punais pour pue nez, nez qui pue.