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LIVRE I, CHAPITRE I.


se penser et bien tenir à soy. Aussi voyons-nous que chasque chose pense à soy, s’estudie la premiere, a des limites à ses occupations et desirs. Et toy, homme, qui veux embrasser l’univers, tout cognoistre, contre-roller et juger, ne te cognois et n’y estudies : et ainsi, en voulant faire l’habile et le scindic de nature [1], tu demeures le seul sot au monde. Tu es la plus vuide et necessiteuse, la plus vaine et misérable de toutes, et néantmoins la plus fiere et orgueilleuse. Parquoy, regarde dedans toy, recognois-toy, tiens-toy à toy : ton esprit et ta volonté, qui se consomme ailleurs, ramene-le à soy-mesme. Tu t’oublies, tu te respends, et te perds au dehors, tu te trahis et te desrobes à toy-mesme, tu regardes tousiours devant toy, ramasse-toy et t’enferme dedans toy : examine-toy, espie-toy, cognois-toy [2].

Nosce teipsum, nec te quæsieris extra.
Respue quod non es, tecum habita, et
Noris quam sit tibi curta supplex.
Tu te consule.
Teipsum concute, numquid vitiorum
Inseverit olim natura, 'aut etiam consuetudo
[3].

  1. Le scindic de nature, pour le syndic, le juge et le censeur de la nature.
  2. C'est le fameux... (nosce te ipsum), qui, suivant Juvénal (Sat. XI), e cœlo descendit. On sait que c'était là une des sentences des sept sages de la Grèce.

  3. « Connais-toi toi-meme, et ne te cherche pas hors de toi. Dédaigne ce que tu n'es pas ; habite avec toi, et tu