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DE LA SAGESSE,


pratiqué, est de s’estudier et apprendre à se cognoistre : c’est le fondement de sagesse et acheminement à tout bien : folie non pareille que d’estre attentif et diligent à cognoistre toutes autres choses plustost que soy-mesme : la vraye science et le vray estude de l’homme, c’est l’homme.

Dieu, nature, les sages, et tout le monde presche l’homme et l’exhorte de faict et de parole à s’estudier et cognoistre. Dieu éternellement et sans cesse se regarde, se considere et se cognoist. Le monde a toutes ses vues contrainctes au dedans, et ses yeux ouverts à se voir et regarder. Autant est obligé et tenu l’homme de s’estudier et cognoistre, comme il luy est naturel de penser, et il est proche à soy-mesme [1]. Nature taille à tous ceste besogne. Le méditer et entretenir ses pensées est chose sur toutes facile, ordinaire, naturelle, la pasture, l’entretien, la vie de l’esprit, cujus vivere est cogitare [2]. Or, par où commencera, et puis continuera-il à mediter, à s’entretenir plus justement et naturellement que par soy-mesme ? Y a-il chose qui luy touche de plus près ? Certes, aller ailleurs et s’oublier est chose dénaturée et très injuste. C’est à chascun sa vraye et principale vacation, que

  1. Et comme chose qui le touche de près.
  2. « Pour l'esprit, penser c'est vivre ». — Aristote avait dit à peu près dans le même sens : vita est mentis actio, Metaphys. L. XI, c. 9.