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DE LA SAGESSE,

bien que l’on s’y soit efforcé, et qu’il aye beaucoup cousté pour y parvenir ; encore ne seroit-il à propos ny expedient, ce seroit par autre voie retomber en mesme mal : car il n’y a haine plus capitale qu’entre egaux ; l’envie et jalousie des egaux [1]est le seminaire des troubles, seditions et guerres civiles [2]. Il faut de l’inequalité, mais moderée ; l’harmonie n’est pas ès sons tous pareils, mais differens, et bien accordans.

Nihil est œqualitate inœqualitus[3].

Ceste grande et difforme inequalité de biens vient de plusieurs causes, specialement de deux : l’une est aux prestations iniques, comme sont les usures et interests par lesquels les uns mangent, rongent et s’engraissent de la substance des autres, qui devorant

  1. Tout ceci est pris dans Bodin. L. V, de la Rép. chap. 2.
  2. Solon pensait tout différemment : car il disait que l'égalité n'engendrait jamais de guerres. Plutarque, dans Solon. — Bodin n'était pas ici un bon guide pour Charron. Il est difficile de concevoir comment l'égalité, si elle pouvait exister, occasionnerait des haines capitales, des guerres civiles, etc. Tous ces maux ont le plus souvent pour cause la trop grande inégalité des fortunes. Au reste, peu après, notre auteur demande une inégalité modérée : c'est en effet là ce qu'il faut.
  3. « Rien de plus inégal que l'égalité ». Pline, Epist. 5, L. IX, in fine. Il répète la même pensée, Liv. II. Ep. 12 ; mais ce n'est pas tout à fait dans le sens où Charron l'emploie. Il parle des conseils publics, où les voix, au lieu d'être pesées, sont comptées. Chacun ajoute-t-il, y a la même autorité, tous n'ont pas les mêmes lumières.