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LIVRE I, CHAPITRE LXII.

mais bien les ambitieux et opulens. Selon Platon, c’est la povreté [1] ; car les povres desesperés sont terribles et furieux animaux, n’ayant plus de pain, ne pouvant exercer leurs arts et mestiers, ou bien excessivement chargez d’imposts, apprennent de la maistresse d’eschole necessité ce qu’ils n’eussent jamais osé d’eux-mesmes, et oseront, car ils sont en nombre. Mais il y a bien meilleur remede à ceux-cy qu’aux riches, et est facile d’empescher ce mal ; car, tandis qu’ils auront du pain, qu’ils pourront exercer leur mestier et en vivre, ils ne se remueront poinct. Parquoy les riches sont à craindre, à cause d’eux-mesmes, et de leur vice et condition ; les povres, à cause de l’imprudence des gouverneurs.

Or plusieurs legislateurs et policeurs d’estats ont voulu chasser ces deux extremités, et ceste grande inequalité de biens et de fortunes, et y apporter une mediocrité et equalité, qu’ils ont appellée mere nourrice de paix et d’amitié ; et encore d’autres [2] y ont voulu mettre la communauté, ce qui ne peust estre que par imagination. Mais outre qu’il est du tout impossible d’y apporter equalité, à cause du nombre des enfans qui croistra en une famille et non en l’autre, et qu’ à peine a-t-elle pu estre mise en practique,

  1. Plat. de Rep. L. VIII.
  2. Platon, dans sa République (L. V), et Thomas Morus dans on Utopie.