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LIVRE I, CHAPITRE LXII.

jouir et user (car sans les noms, n’y auroit que confusion, se perdroit l’usage des choses, periroit le monde, comme richement enseigne l’histoire de la tour de Babel) ; bref l’entredeux et le mitoyen de l’essence de la chose et de son honneur ou deshonneur, car il touche la chose et reçoit tout le bien ou le mal que l’on en dict. Or l’honneur, avant, arriver au nom de la chose, faict un tour quasi circulaire, comme le soleil, complet en trois poses principales, l’œuvre, le cueur, la langue : car il commence et se conçoit, comme en la matrice et racine, en ce qui sort et est produict de beau, bon, utile de la chose honorée, c’est (dict a esté) l’eclat d’une belle action. Caeli enarrant gloriam Dei : pleni sunt caeli et terra gloriâ tud [1], (car quelque valeur, mérité et perfection que la chose aye en soy et au dedans, si elle ne produit rien d’excellent, est du tout incapable d’honneur, et est comme si elle n’estoit point) ; de là il [2] entre en l’esprit et intelligence, où il prend vie et se forme en bonne, haute, et grande opinion : finalement sortant hors de là, et porté par la parole verbale ou escrite, s’en retourne par reflexion, et va fondre et finir au nom de l’autheur de ce bel ouvrage, où il avoit commencé, comme le soleil au lieu d’où

  1. « Les cieux proclament la gloire de Dieu : — Le ciel et la terre sont pleins de sa gloire. » Pslam. XVIII, V. I.
  2. L’honneur, ou plutôt le germé de l’honneur.