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LIVRE I, CHAPITRE LXI.

soy vrayement vilain. Elle est aussi inutile à autruy ; car elle n’entre poinct en communication ny en commerce, comme faict la science, la justice, la bonté, la beauté, les richesses [1]. Ceux qui n’ont en soy rien de recommandable que ceste noblesse de chair et de sang, la font fort valoir, l’ont tousjours en bouche, en enflent les joues et le cœur (ils veulent mesnager ce peu qu’ils ont de bon) ; à cela les cognoist-on, c’est signe qu’il n’y a rien plus, puis que tant et tousiours ils s’y arrestent. Mais c’est pure vanité ; toute leur gloire vient par chetifs instrumens, ab utero, conceptu partu [2], et est ensepvelie soubs le tombeau des ancestres. Comme les criminels poursuyvis ont recours aux autels et sepulchres des morts, et anciennement aux statues des empereurs ; ainsi ceux-cy, destituez de tout merite et subject de vray honneur, ont recours à la memoire et armoiries de leurs majeurs [3]. Que sert à un aveugle que ses parens ayent eu bonne veuë, et à un begue l’eloquence de son ayeul ? Et neantmoins ce sont gens ordinairement glorieux, altiers, mesprisans les autres : contemptor animus et superbia, commune nabilitatis malum [4].

  1. Prus dans Montaigne, L. III, ch. 5.
  2. « Du ventre de leur mère, de la conception, de l'enfantement ». Osée, chap. IX, V. 11.
  3. Ancêtres.
  4. « L'orgueil, un esprit dédaigneux, ce sont les défauts ordinaires des nobles ». Salust. Bellum Jugurthin. Ch. 44.