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DE LA SAGESSE,

l’image de nature. Quelle folie, quelle rage, faire tant d’agitations, mettre en peine tant de gens, courir tant de dangers et hasards par mer et par terre, pour chose si incertaine et doubteuse comme est l’issue de la guerre, courir avec telle faim et telle aspreté après la mort, qui se trouve par-tout, et, sans esperance de sepulture, aller tuer ceux que l’on ne hait pas, que l’on ne vit jamais !

Mais d’où vient ceste grande fureur et ardeur, car l’on ne t’a faict aucune offense ? Quelle frenesie et manie d'abandonner son corps, son temps, son repos, sa vie, sa liberté, à la mercy d'autrui. S’exposer à perdre ses membres et à choses pire mille foys que la mort, au fer et au feu, estre trepasné, tenaillé, descoupé, deschiré, rompu, captif et forçat à jamais ? et ce pour servir à la passion d'autruy, pour cause que l'on ne sçait si elle est juste, et est ordinairement injuste ; car les guerres sont le plus souvent injustes ; et pour tel que tu ne coignois, qui ne se soucie ny ne pensa jamais à toy, mais veust monter sur ton corps mort ou estropié, pour estre plus haut et voir de plus loing ? Je ne touche icy le debvoir des subjects à leur prince et à leur patrie, mais les volontaires, libres et mercenaires.

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