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LIVRE I, CHAPITRE LIX.

verselle que la protection du repos et grandeur de son pays [1] : noble en son execution ; car la vaillance est la plus forte, plus genereuse, et plus heroïque de toutes les vertus : honorable ; car des actions humaines la plus grande et pompeuse est la guerriere, et à qui tous honneurs sont decernés : plaisante, la compagnie de tant d’hommes nobles, jeunes, actifs ; la veue ordinaire de tant d’accidens et spectacles, liberté et conversation sans art, une façon de vie masle, sans ceremonie, la varieté de tant d’actions diverses, ceste courageuse harmonie de la musique guerriere, qui nous entretient et nous eschauffe et les oreilles et l’ame, ces mouvemens guerriers qui nous ravissent de leur horreur et espouvantement [2], ceste tempeste de sons et de cris, ceste effroyable ordonnance de tant de milliers d’hommes, avec tant de fureur, d’ardeur et de courage.

Mais, au contraire, l’on peust dire que l’art et l’experience de nous entredesfaire, entretuer, de ruiner et perdre nostre propre espece, semble desnaturé, venir d’alienation de sens ; c’est un grand tesmoignage de nostre foiblesse et imperfection, et ne se trouve poinct aux bestes, où demeure beaucoup plus entiere

  1. Charron, dit l'auteur de l'Analyse, aurait pu ajouter qu'il n'est point d'état où l'on rencontre plus de probité, plus de droiture et plus d'humanité. Ce qui n'est vrai que dans les où les armées sont composées de citoyens.
  2. Montaigne, loc. cit.