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LIVRE I, CHAPITRE LVIII.

l’esprit est bien plus libre et à soy : ès villes, les personnes, les affaires siennes et d’autruy, les querelles, visites, devis, entretiens, combien desrobent-ils de temps ! Amici fures temporis [1]. Combien de troubles apportent-ils, de destournemens, de desbauches ! Les villes sont prisons mesmes aux esprits, comme les caiges aux oyseaux et aux bestes. Ce feu celeste qui est en nous ne veust poinct estre enfermé ; il ayme l’air, les champs : dont Columelle dict que la vie champestre est parente de la sagesse, consanguinea [2], laquelle ne peust estre sans les belles et libres pensées et meditations. Or est-il difficile de les avoir et nourrir parmy le tracas et tabut des villes. Puis la vie rustique est bien plus nette, innocente et simple : ès villes, les vices sont en foule et ne se sentent poinct ; ils passent et se fourrent par-tout pesle mesle : l’usage, le regard, le rencontre si frequent et contagieux, en est cause. Pour le plaisir et santé, tout le ciel estendu apparoist ; le soleil, l’air, les eaux, et tous les elemens sont libres ; exposez et ouverts de toutes parts, nous soubsrient : la terre se monstre tout à descouvert, ses fruicts sont devant nos yeux : tout cela n’est poinct ès villes, en la

    l'on retrouve les idées de Charron. Voy. le discours pro Sex. Rosc. Amerino, no. 75.

  1. « Les amis sont des voleurs de tems ».
  2. Voici le passage de Columelle : sola res rustica, quœ sine dubitatione proxima et quasi consonguinea sapientiæ est. Columel. de re rustica, chap. I. , in prœfatione.