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LIVRE I, CHAPITRE LVI.

De penser aussi que la solitude soit un asyle et port asseuré contre tous vices, tentations et destourbiers, c’est se tromper, il n’est pas vray en tous sens. Contre les vices du monde, le bruict de la presse, les occasions qui viennent de dehors, cela est bon ; mais la solitude a ses affaires et ses difficultés internes et spirituelles, ivit in desertum ut tentaretur a diabolo [1] . Aux jeunes hommes imprudens et mal advisés, la solitude est un dangereux baston, et est à craindre que, s’entretenans tous seuls, ils entretiennent de meschantes gens, comme disoit Cratès à un jeune homme qui se promenoit tout seul à l’escart. C’est là que les fols machinent de mauvais desseins, ourdissent des malencontres, aiguisent et affilent leurs passions et meschans desirs. Souvent pour eviter Charybdis, on tombe en Scylla. Fuir n'est pas echaper, c'est quelquefois empirer et se perdre Non vital sed fugit : magis autem periculis patemus aversi [2] Il faut estre sage, bien fort et asseuré pour estre laissé entre ses mains : souvent l’on ne sçauroit estre en plus dangereuses mains que les siennes : guarda me

    ques, Charron oubliait qu'il était prêtre, et, par conséquent célibataire. C'est sans doute là un de ces passages qui attirèrent des persécutions sur lui et son ouvrage.

  1. « Il (Jésus) alla dans le désert, pour y être tenté par le diable ». — Saint., Math., chap. IV, v. I.
  2. « Ce n'est pas toujours éviter les dangers que de les fuir : si nous leur tournons le dos, ils nous assaillent avec plus d'avantage ». Sénèque, épit. 104.