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DE LA SAGESSE,


ces trois manières de vivre, la dernière est celle qui offre le plus de difficultés, soumet à plus de contrainte et de contrariétés.

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IL y a trois sortes de vies, comme trois degrés : l’une privée d’un chascun au dedans et en sa poictrine, où tout est caché, tout est loisible ; la seconde en la maison et famille, en ses actions privées et ordinaires, où n’y a poinct d’estude ny d’artifice, desquelles nous n’avons à rendre compte ; la tierce est publicque aux yeux du monde. Or tenir l’ordre et reigle en ce premier estage bas et obscur, est bien plus difficile et plus rare qu’aux deux autres, et au second qu’au tiers : la raison est qu’où il n’y a poinct de juge, de contreroolleur, de regardant, et où nous n’imaginons poinct de peine ou recompense, nous nous portons bien plus laschement et nonchalamment, comme aux vies privées, où la conscience et la raison seule nous guide, qu’aux publicques où nous sommes en eschec et en butte aux yeux et jugemens de tous, où la gloire, la craincte du reproche, de mauvaise reputation, ou quelqu’autre passion nous meine (or la passion nous commande bien plus vivement que la raison), dont nous nous tenons prests et sur nos gardes ; d’où il advient que plusieurs sont estimez et tenus saincts, grands, et admirables en public, qu’en leur privé il n’y a rien de louable. Ce qui se faict en public est