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L
PRÉFACE


et prend une forte teinture : et ainsi se rend inhabile et incapable de voir et trouver mieux, de s’eslever et enrichir : l’on dit d’eux qu’ils sont feruz [1] et touches, qu’ils ont un heurt [2] et un coup à la teste : auquel heurt si encores la science est jointe, pource qu’elle enfle, apporte de la presomption et temerité, et preste armes pour soustenir et defendre les opinions anticipées ; elle achevé du tout de former la folie, et la rendre incurable : foiblesse naturelle, et prévention acquise sont desja deux grands empeschemens ; mais la science, si du tout elle ne les guarit ce que rarement elle fait, elle les fortifie et rend invincibles : ce qui n’est pas au deshonneur ny descry de la science, comme l’on pourroit penser, mais plustot a son honneur.

La science est un très bon et utile baston, mais qui ne se laisse pas manier a toutes mains : et qui ne le sçait bien manier, en reçoit plus de dommage que de profit, elle enteste et affolit (dit bien un grand habile homme) les esprits foibles et malades, polit et parfait les forts et bons naturels : l’esprit foible ne sait pas posséder la science, s’en escrimer, et s’en servir comme il faut ; au rebours elle le possédé et le regente,

  1. Frappés, atteints de folîe, timbrés.
  2. On dirait aujourd’hui : qu’ils ont martel en tête.