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DE LA SAGESSE,


peinctures en l’air, comme les republiques de Platon [1] et de Morus, l’orateur de Ciceron, le poëte d’Horace, belles et excellentes imaginations, mais cherchez qui les mettra en usage. Le souverain et parfaict législateur et docteur s’est bien gardé de cela, lequel et en soy-mesme, sa vie et sa doctrine, n’a point cherché ces extravagances et formes esloignées de la commune portée et capacité humaine, dont il appelle son joug et sa tasche douce et aisée, jugum meum suave, et onus meum leve [2]. Et ceux qui ont dressé leur compagnie soubs son nom, ont très, prudemment advisé, que bien qu’ils fassent profession singulière de vertu, dévotion, et de servir au public sur tous autres, neantmoins ils ont très peu de différences de la vie commune et civile. Or premièrement y a en cecy de l’injustice, car il faut garder proportion entre le commandement et l’obeissance, le debvoir et le pouvoir, la reigle et l’ouvrier : et ceux-cy s’obligent, et les autres à estre nécessairement en faute, taillans à escient de la besongne plus qu’ils n’en sçauroient faire : et souvent ces beaux faiseurs de reigle sont les premiers mocqueurs, car ils ne font rien, et souventtout au rebours de ce qu’ils enjoignent aux autres,

  1. Il faut rappeler ici que Platon ne croyait pas lui-même qu’une république telle que la sienne, pût s’établir sur la terre. Voy. de Rep., L. IX , in fine.
  2. « Mon joug est doux, et mon fardeau léger ». Evangile de Saint Mathieu, chap. XI. v. 30.