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LIVRE I, CHAPITRE LI.


de gens qui osassent m’accuser, et vituperer mes actions contraires, quand elles y seroient [1].

Le septiesme poinct de leurs miseres, pire peust-estre que tous et plus pernicieux au public, est qu’ils ne sont pas libres aux choix des personnes, ny en la science vraye des choses. Il ne leur est permis de sçavoir au vray l’estat des affaires, ny de cognoistre, et par ainsi n’y employer et appeller tels qu’ils voudroient bien, et seroit bien requis. Ils sont enfermés et assiegés de certaines gens qui sont ou de leur sang propre, ou qui, pour la grandeur de leurs maisons et offices, ou par prescription, sont si avant en authorité, force et maniement des affaires, qu’il n’est loysible, sans mettre tout à l’hasard, les mescontenter, reculer, ou mettre en jalousie. Or ces gens-là qui couvrent et tiennent comme caché le prince empeschent que toute la verité des choses ne luy apparoisse, et qu’autres meilleurs et plus utiles ne s’en approchent et ne soyent cognus ce qu’ils sont : c’est pitié que de ne voir que par les yeux et n’entendre que par les oreilles d’autruy, comme sont les princes [2]. Et ce qui acheve de tous poincts cette misere, c’est qu’ordinairement, et comme par un destin, les princes et grands sont possedés par trois sortes de gens,

  1. Ammien Marcellin. L. XXII, C. 10.
  2. Voyez dans Sénèque, un passage admirable à ce sujet : de Beneficiis, L. VI, c. 30.