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LIVRE I, CHAPITRE LI.


vent estre. Vespasien a esté seul, dict Tacite, de ses predecesseurs qui s’est rendu meilleur [1] ; et, selon le dire d’un ancien, tous les bons princes se pourroient bien graver en un anneau [2].

Secondement, aux voluptés et plaisirs, dont on pense qu’ils ont bien meilleure part que les autres. Ils y sont certes de pire condition que les privés [3] ; car, outre que ce lustre de grandeur les incommode à la jouyssance de leurs plaisirs, à cause qu’ils sont trop esclairés, et trop en butte et en eschec, ils sont contreroollés et espiés jusques à leurs pensées, que l’on veust deviner et juger. Encore la grande aisance et facilité de faire ce qu’il leur plaist, tellement que tout ploye soubs eux, oste le goust et l’aigre-douce poincte qui doibt estre aux plaisirs, lesquels ne resjouyssent que ceux qui les goustent et rarement et avec quelque difficulté : qui ne donne loisir d’avoir soif ne sçauroit avoir plaisir à boire ; la satieté est ennuyeuse et faict mal au cœur :

Pinguis amor nimiùmque potens in tædia nobis
Vertitur : et stomacho dulcis ut esca nocet[4].

  1. Solus omnium ante se pricipum, in melius mutatus est. Tacit Histor. L. I. C. 50, in fine.
  2. In uno annulo bonos principes posse prescribi atque depingi. Vopiscus, in Aureliano, cap. 42.
  3. Pris dans Montaigne, L. I, C. 42.
  4. « Un amour qui peut se satisfaire trop facilement, se change en dégoût, semblable à ces alimens trop doux qui donnent des nausées ». Ovid. Amor. eleg. XIV, V. 25.