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LIVRE I, CHAPITRE L.

C’est chose estrange de lire les cruautés exercées par les seigneurs contre les esclaves, par l’approbation mesme ou permission des loix : ils leur faisoient labourer la terre [1], enchaisnés comme encore en Barbarie, coucher dedans les creux et fosses ; estant venus vieils ou impotens et inutiles, estoient vendus, ou bien noyez et jettés dedans les estangs pour la nourriture des poissons : non seulement pour une petite et legere faute, comme casser un verre [2], on les tuoit ; mais pour le moindre soupçon, voire tout simplement pour en avoir le passe-temps [3], comme fit Flaminius, l’un des hommes de bien de son temps ; et, pour donner plaisir au peuple, ils estoient contraincts de s’entretuer publicquement aux arenes : si le maistre estoit tué en sa maison, par qui que ce fust, les esclaves innocens estoient tous mis à mort, tellement que Pedanius [4], Romain, estant tué, bien que l’on

    vieillese, c'est la marque d'un méchant naturel, et d'une ame basse et sordide, qui croit que l'homme n'a de liaison avec l'homme que pour ses besoins et pour sa seule utilité, etc. ». Il faut lire tout ce morceau, plein de la morale la plus pure.

  1. Voyez Columelle, L. I.
  2. Sen. de Ira, L. I.
  3. Voyez Plutarque, Vie de Flaminius. — Mais Charron se trompe ici. Ce Flaminius n'était pas un homme de bien. Plutarque dit que s'il était si adonné à ses plaisirs, et si plongé dans les plus infâmes débauches, qu'il foulait aux pieds toutes sortes de bienséance et d'honnêteté.
  4. Voyez Tacite. Annal. L. XIV, c. 42 et seq.