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DE LA SAGESSE,


qui se donnent et vouent esclaves d’autruy à perpetuité, ainsi que practiquoient anciennement les Juifs [1], qui leur perçoient l’oreille à la porte en signe de perpetuelle servitude ; et ceste sorte de captivité volontaire est la plus estrange de toutes, et la plus contre nature.

C’est l’avarice qui est cause des esclaves forcés [2], et la poltronnerie cause des volontaires ; les seigneurs ont esperé plus de gain et de profict à garder qu’à tuer ; et, de faict, la plus belle possession et le plus riche bien estoit anciennement des esclaves. Par là Crassus [3] devint le plus riche des romains, qui avoit, outre ceux qui le servoient, cinq cents esclaves qui rapportoient tous les jours gain et profict de leurs metiers et arts questuaires [4]. Après en avoir tiré long service et profict, encore en faisoient-ils argent en les vendant [5].

  1. Deuteron. ch. XV, v. 17.
  2. En effet, on ne laissait la vie aux prisonniers de guerre, que parce qu'on espérait tirer parti de leur esclavage, ou profiter de leur rançon. Tels étaient autrefois les principes sur cette matière ; tels sont encore ceux des nations barbaresques.
  3. Voyez Plutarque, Vie de Crassus.
  4. Lucratifs.
  5. C'est ce que faisait Caton le Censeur, au rapport de Plutarque, Vie de Caton le Censeur. Mais Plutarque fait ensuite cette réflexion : « pour moi, je trouve que de se servir de ses esclaves comme bêtes de somme, et après qu'on s'en est servi, de les chasser ou de les vendre dans leur