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LIVRE I, CHAPITRE XLVIII.


il y faut un rencontre de beaucoup de qualités ; tant de considerations, outre et hors les personnes mariées. Car quoy qu’on die, l’on ne se marie seulement pour soy ; la posterité, la famille, l’alliance, les moyens, y poisent beaucoup [1] : voylà pourquoy il s’en trouve si peu de bons ; et ce qui s’en trouve si peu, c’est signe de son prix et de sa valeur, c’est la condition des plus grandes charges. La royauté est aussi pleine de difficultés [2], et peu l’exercent bien et heureusement. Mais ce que nous voyons souvent qu’il ne se porte pas bien, cela vient de la licence et desbauche des personnes, et non de l’estat et institution du mariage, dont il se trouve plus commode aux ames bonnes, simples et populaires, où les delices, la curiosité, l’oisiveté, le troublent moins : les humeurs desbauchées, les ames turbulentes et detraquées, ne sont pas propres à ce marché.

Mariage est un sage marché, un lien et une cousture saincte et inviolable, une convention honorable : s’il est bien façonné et bien prins, il n’y a rien plus beau au monde ; c’est une douce societé de vie pleine de constance, de fiance, et d’un nombre infini d’utiles et solides offices et obligations mutuelles : c’est une compagnie non poinct d’amour, mais d’amitié. Ce

  1. Tout cela est pris dans Montaigne, loc. cit.
  2. Multa cura summo imperio inest, multique ingentes labores. — Sallust. in Fragm. L. II, hist.