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LIVRE I, CHAPITRE XLVIII.


ceux qui, foibles de corps, ont l’esprit grand, fort et puissant, est-ce pas grand dommage de les enferger [1] et garrotter à la chair et au mariage, comme l’on faict les bestes à l’estable ? Nous voyons mesme cela aux bestes ; car les nobles qui sont de valeur et de service, chevaux, chiens, l’on les esloigne de l’accointance de l’autre sexe ; l’on ne met aux haras que les bestes de moindre estime. Aussi ceux qui sont destinés, tant hommes que femmes, à la plus venerable et saincte vacation, et qui doibvent estre comme la cresme et la mouelle de la chrestienté, les gens d’église et de religion, sont exclus du mariage. Et c’est pource que le mariage empesche et destourne les belles et grandes elevations de l’ame, la contemplation des choses hautes, celestes et divines, qui est incompatible avec le tabut [2] des affaires domestiques ; à cause de quoy l’apostre [3] prefere la solitude de la continence au mariage. L’utile peust bien estre du costé du mariage, mais l’honneste est de l’autre costé.

Puis il trouble les belles et sainctes entreprinses, comme Sainct Augustin recite qu’ayant deseigné avec quelques autres siens amis, dont il y en avoit de mariés, de se retirer de la ville et des compagnies pour

  1. De les enferrer, c'est-à-dire, de le mettre dans les fers, de les entraver.
  2. Le tourment, le bruit, le tracas.
  3. Voyez l'épitre Ire, aux Corinthiens, chap. VII, v. 8, 26, 32, etc.