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DE LA SAGESSE,


aux peines d’enfer, et souffrir sans cesse à son costé la tempeste d’une jalousie, d’une malice, d’une rage et manie, d’une bestise opiniastre, et autres miserables conditions ; dont l’un a dict que qui avoit inventé ce nœud et lien de mariage, avoit trouvé un bel et specieux expedient pour se venger des humains, une chaussetrappe ou un filet pour petit feu. L’autre a dict que marier un sage avec une folle, ou au rebours, c’estoit attacher le vif avec le mort ; qui estoit la plus cruelle mort inventée par les tyrans pour faire languir et mourir le vif par la compagnie du mort.

Par la seconde accusation ils disent que le mariage est une corruption et abastardissement des bons et rares esprits, d’autant que les flatteries et mignardises de la partie que l’on aime, l’affection des enfans, le soin de sa maison et advancement de sa famille, relaschent, destrempent et ramollissent la vigueur et la force du plus vif et genereux esprit qui puisse estre, tesmoin Samson, Salomon, Marc Anthoine ; dont, au pis aller, il ne faudroit marier que ceux qui ont plus de chair que d’esprit, vigoureux au corps, et foibles d’ame ; les attacher à la chair, et leur bailler la charge des choses petites et basses, selon leur portée [1]. Mais

  1. C'est l'opinion d'Héloïse dans la lettre oû elle allègue à Abelard mille raisons pour le dégoûter du mariage. Voyez Opera Abœlardie, page 14.