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LIVRE I, CHAPITRE XLV.


la seule, ou bien la meilleure reigle de bien vivre. Ces gens sont de l’eschole et du ressort d’Aristote, affirmatifs, positifs, dogmatistes, qui regardent plus l’utilité que la vérité, ce qui est propre à l’usage et trafic du monde, qu’ à ce qui est bon et vray en soy. En cette classe y a très grand nombre et diversité de degrés ; les principaux et plus habiles d’entr’eux gouvernent le monde, et ont les commandemens en main. Au troisiesme et plus haut estage sont les hommes doués d’un esprit vif et clair, jugement fort, ferme et solide, qui ne se contentent d’un ouy dire, ne s’arrestent aux opinions communes et receues, ne se laissent gagner et preoccuper à la creance publique, de laquelle ils ne s’estonnent point, sçachant qu’il y a plusieurs bourdes, faulsetés et impostures receues au monde avec approbation et applaudissement, voire adoration et reverence publique ; mais examinent toutes choses qui se proposent, sondent meurement, et cherchent sans passion les causes, motifs, et ressorts, jusques à la racine, aimant mieux doubter et tenir en suspens leur creance, que par une trop molle et lasche facilité, ou legereté, ou precipitation de jugement, se paistre de faulseté, et affirmer ou se tenir asseurés de chose de laquelle ils ne peuvent avoir raison certaine. Ceux-cy sont en petit nombre [1], de l’eschole et

  1. « On ne doit juger de rien, lorsque rien n'est évident ». Bayle, Republique des Lettres, mois d'Août 1684.