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LIVRE I, CHAPITRE XLII.


lors il n’est plus besoin de regimber et s’en enquerir, mais simplement croire : le plus grand et puissant moyen de persuader, et la meilleure touche de verité, c’est la multitude des ans et des croyans : or les fols surpassent de tant les sages : sanitatis patrocinium est insanientium turba [1]. C’est chose difficile de resouldre son jugement contre les opinions communes. Tout ce dessus se peust cognoistre par tant d’impostures, badinages, que nous avons veu naistre comme miracles, et ravir tout le monde en admiration, mais incontinent estouffés par quelque accident, ou par l’exacte recherche des clair-voyans, qui ont esclairé de près et descouvert la fourbe, que s’ils eussent eu encore du temps pour se meurir et se fortifier en nature, c’estoit faict pour jamais. Ils eussent esté receus et adorés generalement. Ainsi en est-il de tant d’autres qui ont (faveur de fortune) passé et gagné la creance publicque, à laquelle puis on s’accommode sans aller recognoistre la chose au gitte et en son origine : nusquam ad liquidum fama perducitur [2]. Tant de sortes de religions au monde, tant de façons superstitieuses, qui sont encore mesme dedans la chres-

  1. « La multitude des fous est si grande, que la sagesse est obligée de se mettre sous leur protection ». St-Augustin, de Cuv. Dei. L.VI, cap. 10
  2. « Nulle part les bruits qui courent ne sont bien éclaircis ». Quinti-Curt. L. IV, cap. 2