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DE LA SAGESSE,


« La verité et le mensonge ont leurs visages conformes ; le port, le goust et les alleures pareilles ; nous les regardons de mesme œil [1] : » : ita sunt finitima falsa veris, ut præcipitem locum non debeat se sapiens commiterre [2]. L’on ne doibt croire d’un homme que ce qui est humain, s’il n’est authorisé par approbation surnaturelle et surhumaine, qui est Dieu seul, qui seul est à croire en ce qu’il dict, pource qu’il le dict.

L’autre vice contraire est une forte et audacieuse temerité de condamner et rejetter, comme faulses, toutes choses que l’on n’entend pas, et qui ne plaisent et ne reviennent au goust. C’est le propre de ceux qui ont bonne opinion d’eux-mesmes, qui font les habiles et les entendus, specialement heretiques, sophistes, pedans ; car se sentant avoir quelque poincte d’esprit, et de voir un peu plus clair que le commun, ils se donnent loy et authorité de decider et resouldre de toutes choses. Ce vice est beaucoup plus grand et vilain que le premier ; car c’est folie enragée de penser sçavoir jusques où va la possibilité, les ressorts et bornes de nature, la portée de la puissance et volonté de Dieu, et vouloir ranger à soy et à sa

  1. Tout ce qui est entre les guillemets, est mot pour mot dans Montaigne, L. III, C. 2.
  2. « Le feux est si près-voisin du vrai, que le sage doit toujours craindre de s'engager dans l'abîme ». Cic. Acad. Quœst. L. IV, C. 21.