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DE LA SAGESSE,


tout entraisner avec nous ; nul de nous ne pense assez n’estre qu’un.

Après cela l’homme croit que le ciel, les estoiles, tout ce grand mouvement celeste et bransle du monde, n’est faict que pour luy. Tot circa unum caput tumultuantes deos [1]. Et le pourve miserable est bien ridicule. Il est icy bas logé au dernier et pire estage de ce monde, plus eslongné de la voulte celeste, en la cloaque et sentine de l’univers, avec la bourbe et la lie, avec les animaux de la pire condition, subject à recevoir tous les excremens et ordures, qui luy pleuvent et tombent d’en haut sur la teste ; et ne vist que de cela, et à souffrir les accidens qui luy arrivent de toutes parts : et se faict croire qu’il est le maistre commandant à tout ; que toutes creatures, mesme ces grands corps lumineux, incorruptibles, desquels il ne peust sçavoir la moindre vertu, et est contraint tout transi de les admirer, ne branslent que pour luy et son service. Et pour ce qu’il mendie, chetif qu’il est, son vivre, son entretien, ses commodités, des rayons, clarté et chaleur du soleil, de la pluye, et autres desgouts du ciel et de l’air, il veut dire qu’il jouist du ciel et des elemens, comme si tout n’avoit esté faict et ne se remuoit que pour luy. En ce sens l'oy-

  1. « Tant de Dieux qui s'agitent en tumilte autour d'une seule tête ». Sen. Suasor. IV. — Voyez aussi Montaigne, L. II, C. 12.