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LIVRE I, CHAPITRE XLII.


plus glorieux que l’homme ? Car d’une part il se feinct de très hautaines et riches opinions de l’amour, soin et affection de Dieu envers luy, comme son mignon, son unique ; et cependant il le sert très indignement : comment se peuvent accorder et subsister ensemble une vie et un service si chetif et miserable d’une part, et une opinion et creance si glorieuse et si hautaine de l’autre ? C’est estre ange et porceau tout ensemble : c’est ce que reprochoit un grand philosophe aux chrestiens, qu’il n’y avoit gens plus fiers et glorieux à les ouyr parler, et en effect plus lasches et vilains. C'est un ennemy qui parle injure, mais qui touche bien justement les hypocrites.

Il nous semble aussi que nous pesons et importons fort à Dieu, au monde, à toute la nature, qu’ils se peinent et ahannent en nos affaires, ne veillent que pour nous, dont nous nous esbahissons des accidens qui nous arrivent ; et cecy se void encore mieux à la mort. Peu de gens se resolvent et croyent que ce soit leur derniere heure ; et presque tous se laissent lors piper à l’esperance. Cela vient de presomption, nous faisons trop cas de nous, et nous semble que l’univers a grand interest à nostre mort ; que les choses nous faillent à mesure que nous leur faillons, ou qu’elles mesmes se faillent à mesure qu’elles nous faillent ; qu’elles vont mesme bransle avec nous, comme à ceux qui vont sur l’eaue ; que le ciel, la terre, les villes, se remuent : nous pensons