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LIVRE I, CHAPITRE XLII.


portion, estant infini ; et ainsi est-il impossible de les avoir assez pour ce regard : mais j’entends assez pour le regard de ce que pouvons et debvons. Nous n’eslevons ny ne guindons pas assez haut et ne roidissons assez la poincte de nostre esprit, quand nous imaginons la Divinité : comment assez ! Nous la concepvons tres-bassement ; nous la servons de mesme tres-indignement ; nous agissons avec elle plus vilement qu’avec certaines creatures. Nous parlons non seulement de ses œuvres, mais de sa majesté, volonté, jugemens, avec plus de confidence [1] et de hardiesse que l’on ne feroit d’un prince, ou autre homme d’honneur. Il y a plusieurs hommes qui refuseroient un tel service et recognoissance, et se tiendroient offensez et violez, si l’on parloit d’eux, et que l’on employast leur nom si vilement et sordidement, l’on entreprend de le mener, flatter, ployer, composer avec luy, affin que je ne dise, braver, menacer, gronder et despiter. Cesar disoit à son pilote qu’il ne craignist de voguer et le conduire contre le destin et la volonté du ciel et des astres, se fiant sur ce que c’est Caesar qu’il meine [2]. Auguste ayant esté battu de la tempeste sur

  1. Confiance.
  2. Voy. Lucain, L. V.v. 579-583 ; Plutarque, de la Fortune des Romains ; Suétone, in Cœsare ; mais surtout Florus qui cite le mot même de César : Quid times ? Cœsarem vehis. Lib. IV, cap. II, num. 37.