Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/352

Cette page n’a pas encore été corrigée
296
DE LA SAGESSE,


gnoitre, plaisir et gain [1] de se venger : preuve de nature maligne. Gratia oneri est, ultio in quœstu habetur [2].

3. Estre plus aspre à hayr qu’à aymer ; à mesdire qu’à loüer ; se paistre et mordre plus volontiers et avec plus de plaisir au mal qu’au bien d’autruy ; le faire plus valoir, s’estendre plus à en discourir, y exercer son stile, tesmoin tous les escrivains, orateurs et poëtes, qui sont lasches à reciter le bien, eloquens au mal. Les mots, les inventions, les figures, pour medire, brocarder, sont bien autres, plus riches, plus emphatiques, et significatifs, qu’au bien dire et loüer.

4. Fuir à mal faire, et entendre au bien, non par le bon ressort purement, par la raison naturelle, et pour l’amour de la vertu, mais pour quelqu’autre consideration estrangere, quelquesfois lasche et sordide, de gain et profict, de vaine gloire, d’esperance, de crainte, de coustume, de compagnie : bref non pour soy et son devoir simplement, mais pour quelque occasion et circonstance externe. Tous sont gens de bien par

  1. Ce mot est écrit gain ici et quelques lignes plus bas, dans la première édition, et gaing à la dernière ligne du chap. XXXVIII. Ce qui prouve que l'orthographe de Charron n'était pas plus fixée que celle de Montaigne, ni que celle tous les autres écrivains du même tems.
  2. « La reconaissnce est un fardeau ; mais que la vengeance a de prix ! ». Tac. Hist. L. IV, C.3.