ne l’exercer, relever, et lui preferer
la memoire et l’imagination ou fantasie ?
Voyons ces grandes, doctes et belles harangues,
discours, leçons, sermons, livres, que
l’on estime et admire tant, produicts par les
plus grands hommes de ce siecle (j’en excepte
quelques-uns et peu) ; qu’est-ce tout cela,
qu’un entassement et enfileure d’allegations,
un recueil et ramas du bien d’autruy (œuvre
de memoire, et diverse leçon, et chose très
aisée ; car cela se trouve tout trié et arrangé :
tant de livres sont faicts de cela) avec quelques
poinctes et un bel agensement (œuvre
de l’imagination), et voylà tout ? Ce n’est
souvent que vanité, et n’y reluict aucun traict de
grand jugement, ny d’insigne vertu : aussi souvent
sont les autheurs d’un jugement foible et
populaire, et corrompus en la volonté. Combien
est-il plus beau d’ouyr un paysan, un
marchand parlant en son patois, et disant de
belles propositions et verités, toutes seiches et
cruës, sans art ny façon, et donnant des advis
bons et utiles, produicts d’un sain, fort
et solide jugement !
En la volonté y a bien autant ou plus de miseres, et encore plus miserables ; elles sont hors nombre : en voyci quelques-unes.
1. Vouloir plustost apparoir homme de bien que de l’estre ; l’estre plustost à autruy qu’à soy.
2. Estre beaucoup plus prompt et volontaire à la vengeance de l’offense, qu’ à la recognoissance du bienfaict ; tellement que c’est corvée et regret que reco-