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LIVRE I, CHAPITRE XLI.


ne l’exercer, relever, et lui preferer la memoire et l’imagination ou fantasie ? Voyons ces grandes, doctes et belles harangues, discours, leçons, sermons, livres, que l’on estime et admire tant, produicts par les plus grands hommes de ce siecle (j’en excepte quelques-uns et peu) ; qu’est-ce tout cela, qu’un entassement et enfileure d’allegations, un recueil et ramas du bien d’autruy (œuvre de memoire, et diverse leçon, et chose très aisée ; car cela se trouve tout trié et arrangé : tant de livres sont faicts de cela) avec quelques poinctes et un bel agensement (œuvre de l’imagination), et voylà tout ? Ce n’est souvent que vanité, et n’y reluict aucun traict de grand jugement, ny d’insigne vertu : aussi souvent sont les autheurs d’un jugement foible et populaire, et corrompus en la volonté. Combien est-il plus beau d’ouyr un paysan, un marchand parlant en son patois, et disant de belles propositions et verités, toutes seiches et cruës, sans art ny façon, et donnant des advis bons et utiles, produicts d’un sain, fort et solide jugement !

En la volonté y a bien autant ou plus de miseres, et encore plus miserables ; elles sont hors nombre : en voyci quelques-unes.

1. Vouloir plustost apparoir homme de bien que de l’estre ; l’estre plustost à autruy qu’à soy.

2. Estre beaucoup plus prompt et volontaire à la vengeance de l’offense, qu’ à la recognoissance du bienfaict ; tellement que c’est corvée et regret que reco-