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DE LA SAGESSE,


chant avec grandes estude les causes et alimens de misere : il se fourre aux affaires de gayeté de cœur, et tels que quand ils s’offriroient à luy, il leur devroit tourner le dos : ou bien par une inquietude miserable de son esprit, ou pour faire l’habile, l’empesché, et l’entendu, c’est-à-dire le sot et miserable, il entreprend et remue besongne nouvelle, ou s’entremesle de celle d’autruy. Bref, il est si fort et incessamment agité de soin et pensemens non seulement inutiles et superflus, mais espineux, penibles et dommageables, tourmenté par le present, ennuyé du passé, angoissé pour l’advenir, qu’il semble ne craindre rien plus que de ne pouvoir pas estre assez miserable : dont l’on peust justement s’escrier : ô pauvres gens, combien endurez-vous de maux volontaires, outre les necessaires que la nature vous envoye ! Mais quoy ! L’homme se plaist en la misere, il s’opiniastre à remascher et remettre continuellement en memoire les maux passez. Il est ordinaire à se plaindre, il encherit quelquesfois le mal et la douleur : pour petites et legeres choses, il se dira le plus miserable de tous : est quaedam dolendi voluptas [1]. Or c’est encore plus grand misere de trop ambitieusement faire valoir la misere, que ne la cognoistre et ne sentir pas homo animal querulum, cupidè suis incumbens miseriis [2].

  1. « Il y a un certain plaisir à se plaindre ». Ovid. Trist. L. IV, El. 3 ; et Plin. epist. XVI, L. VIII.
  2. « L'homme est un animal qui aime à se plaindre, et ce qui se complaît dans ses maux ». Apuleius.