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LIVRE I, CHAPITRE XLI.


philosophique, qui est la trempe par laquelle l’ame est rendue invincible, et est fortifiée à l’espreuve contre tous assauts et accidens, de laquelle sera parlé : mais de cette paoureuse [1], et quelques fois fausse et vaine apprehension des maux qui peuvent advenir, laquelle afflige et noircit de fumée toute la beauté et serenité de l’ame, trouble tout son repos et sa joye ; il vaudroit mieux du tout s’y laisser surprendre. Il est plus facile et plus naturel n’y penser point du tout. Mais laissons encore ceste anticipation de mal. Tout simplement le soin et pensement penible et beant après les choses advenir, par esperance, desir, crainte, est une très grande misere : car outre que nous n’avons aucune puissance sur l’advenir, moins que sur le passé (et ainsi c’est vanité, comme a esté dict [2]), il nous en demeure encore du mal et dommage, calamitosus est animus futuri anxius [3], qui nous desrobe le sentiment, et nous oste la jouyssance paisible des biens presens, et empesche de nous y rasseoir et contenter.

Ce n’est pas encore assez ; car affin qu’il ne luy manque jamais matiere de misere, voire qu’il y en aye tousiours à foison, il va tousjours furetant et cher-

  1. Peureuse.
  2. Au chapitre XXXVIII.
  3. « Un esprit qui se chagrine de l'avenir, vit avec beaucoup de calamité ». Sen. ep. 98.