ment miserables,
par un real
[1]
sentiment de la misere, et
par une longue premeditation d’icelle, qui souvent
est cent fois pire que le mal mesme :
minùs afficit sensus fatigatio, quàm cogitatio
[2].
L’estre de la misere ne dure pas assez, il faut
que l’esprit l’allonge, l’estende, et avant la
main s’en entretienne.
Plus dolet quàm necesse est, qui ante dolet quàm
necesse est. Quaedam magis, quaedam antequàm debeant,
quaedam cum omninò non debeant, nos torquent : aut
augemus dolorem, aut fingimus, aut praecipimus
[3].
Les bestes se gardent bien de ceste folie et misere,
et ont à dire grand mercy à nature de ce
qu’elles n’ont point tant d’esprit, tant de memoire
et de providence. Cesar disoit bien que
la meilleure mort estoit la moins premeditée.
Et certes la preparation à la mort a donné à
plusieurs plus de tourment que la souffrance
mesme. Je n’entends icy parler de cette premeditation
vertueuse et
- ↑ C'est ainsi qu'on lit dans la première édition, et dans celle de Bastien : l'édition de Dijon a rajeuni ce mot et a écrit réel.
- ↑ « La souffrance du mal nous affecte moins que la pensée même de la souffrance ». Quintil. L. I, ch. 12.
- ↑ « Celui qui a de la douleur avant qu'il soit nécessaire d'en avoir, a plus de douleur qu'il ne faut. — Certains maux nous tourmentent plus qu'ils ne doivent, d'autres avant qu'ils le doivent, d'autres lorsqu'ils ne le doivent, d'autres lorsqu'ils ne le doivent pas du tout. Ou nous augmentons la douleur, ou nous le feignons, ou nous le prenons d'avance ». Sen. epist. 98 et epist. 13.