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DE LA SAGESSE,


de dire ; mais encore il est forgeur de maux. Il se peinct et figure, craint, fuit, abhorre, comme bien grands maux, des choses qui ne sont aucunement maux en soy et en verité, et que les bestes ne craignent point, mais qu’il s’est feinct par son propre discours et imagination estre tels, comme sont n’estre advancé en honneur, grandeur, biens, item cocuage, sterilité d’enfans, la mort [1]. Car, à vray dire, il n’y a que la douleur qui soit mal, et qui se sente. Et ce qu’aucuns sages semblent craindre ces choses, ce n’est pas à cause d’elles, mais à cause de la douleur qui quelques fois les accompagne de près : car souvent elle desvance et est avant-coureuse de la mort, et quelques fois suit la disette des biens, de credit et honneur. Mais ostez de ces choses la douleur, le reste n’est que fantasie, qui ne loge qu’en la teste de l’homme, qui se taille de la besongne pour estre miserable ; et imagine à ces fins des faux maux outre les vrays, employant et estendant sa misere, au lieu de la chastrer et raccourcir. Les bestes sont exemptes de ces maux, et par ainsi nature ne les juge pas tels.

Quant à la douleur, qui est le seul vray mal, l’homme y est du tout né, et tout propre : les Mexicaines saluent les enfans sortans du ventre de leur

  1. Charron ne parle ici que de la mort physique, qui est plutôt une cessation de maux qu'un mal réel : elle n'est qu'un mal que part l'idée d'un avenir que l'on craint, parce qu'on l'ignore.