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LIVRE I, CHAPITRE XL.


Quod petiit, spernit ; repetit quod nuper omisit.
Æstuat, et vitæ disconvenit ordine toto[1].

L’homme est l’animal de tous le plus difficile à sonder et cognoistre, car c’est le plus double et contrefaict, le plus couvert et artificiel ; et y a chez luy tant de cabinets et d’arriere-boutiques, dont il sort tantost homme, tantost satyre ; tant de souspiraux, dont il souffle tantost le chaud, tantost le froid, et d’où il sort tant de fumée. Tout son bransler et mouvoir n’est qu’un cours perpetuel d’erreurs : le matin naistre, le soir mourir ; tantost aux ceps [2], tantost en liberté ; tantost un dieu, tantost une mouche. Il rit et pleure d’une mesme chose. Il est content et mal content. Il veut et ne veust, et ne sçait enfin ce qu’il veust. Tantost il est si comblé de joye et d'allegresse qu'il ne peust demeurer en sa peau, tantost tout luy desplait et ne peust souffrir soy-mesme, modo amore nostri, modo taedio laboramus [3].


    il paraît frugal et grave, tantôt prodigue et frivole : nous changeons à chaque instant de masque ». Sen. Epist. 120.

  1. « Ce qu'il a demandé il le dédaigne, il recherche ce qu'il vient de rejeter. Il est dans une fluctuation continuelle, et n'est jamais d'accord avec lui-même dans tout le cours de sa vie ». Hor. Epist. I, l. I, v. 98.
  2. Aux fers, en esclavage.
  3. « Tantôt l'amour de nous-mêmes nous tourmente, tantôt nous ne pouvons nous supporter  ». Sen. Nat. Quœst. I. IV.