Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/321

Cette page n’a pas encore été corrigée
265
LIVRE I, CHAPITRE XXXIX.


sens. De dire qu’il faille faire tousjours au pis sans aucune reserve ni respect, c’est une très pernicieuse doctrine : et très bien dict le proverbe contraire, les plus courtes folies sont les meilleures. Mais aussi en certains cas, la voye mediocre est très dangereuse, comme à l’endroict d’un ennemi redoutable que l’on tient à la gorge, comme l’on tient le loup par les oreilles : il le faut ou gagner du tout par courtoisie, ou du tout l’estaindre [1] et s’en deffaire, comme ont tousjours pratiqué les Romains, et très prudemment, entre autres à l’endroit des Latins ou Italiens, à la remonstrance de Camillus, pacem in perpetuum parare vel serviendo vel ignoscendo [2], car en tel cas faire à demy, c’est tout perdre, comme firent les Samnites, qui à faute de pratiquer ce conseil qui leur fut donné par un bon vieillard expérimenté, à l’endroit des Romains, qu’ils tenoyent enserrés, le payèrent bien cher ; aut conciliandus aut tollendus hostis [3] ; le premier de la courtoisie est plus noble, honorable et à choisir, et ne faut venir au second qu’à l’extremité, et lorsque l’ennemi n’est capable du premier. Par tout ce dessus se monstre l’extreme foiblesse humaine au bien et au mal : il ne peust ny faire ny fuyr tout bien et tout

  1. L'exterminer.
  2. « S'assurer une paix à perpétuité en se soumettant ou en pardonnant ».
  3. « Il faut ou se concilier son ennemi, ou le détruire ».