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LIVRE I, CHAPITRE XXXIX.


dence vouloir arriver à la justice. Et que dirons-nous de l’invention des gehennes [1], qui est plustost un essay de patience que de verité [2] ? Car celuy qui les peust souffrir, et ne les peust souffrir, cachera la verité. Pourquoy la douleur fera-elle plustost dire ce qui est que ce qui n’est pas ? Si l’on pense que l’innocent est assez patient pour supporter les tourments, et pourquoy ne le sera celuy qui est coulpable, estant question de sauver sa vie ? Illa tormenta gubernat dolor ; moderatur natura cujusque tum animi tum corporis, regit quæsitor, flectit libido, corrumpit spes, infirmat matus, ut in tot rerum angustüs nil veritati loci relinquantur [3] . Pour excuse on dict que la torture estonne le coulpable, l’affoiblit, et luy fait confesser sa fausseté ; et au rebours fortifie l’innocent : mais il s’est tant souvent veu le contraire, cecy est captieux, et, à dire vray, un pauvre moyen, plein d’incertitude et de doubte. Que ne diroit et ne feroit-on pour fouir à telles douleurs ? etenim innocentes mentiri cogit dolor [4] ; tellement qu’il

  1. Des tourmens de question.
  2. Ceci est copié de Montaigne.
  3. « Ces tortures qu'inventa la douleur, font plus ou moins d'impresssion selon le caractère, l'ame, le plus ou moins de force du corps : celui qui les inflige au patient, interroge à son gré ; la passion fléchit dans la réponse ; l'espérance l'altère ; la crainte l'infirme : de sorte qu'au milieu de tant d'incertitudes, il n'y a plus moyen de démêler la la vérité ».
  4. « Car la douleur force les innocens mémé à mentir ». Publ. Syr.