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LIVRE I, CHAPITRE XXXIX.


aucun pur, que nous ne l’acheptions au poids de quelque mal. Aussi la tristesse n’est point pure et sans quelque alliage de plaisir, labor voluptasque dissimillima natura, societate quadam naturali inter se sunt juncta ; —

... Est quædem flere voluptas[1].

Ainsi toutes choses en ce monde sont mixtionnées et destrempées avec leurs contraires : les mouvemens et plis du visage qui servent au rire, servent aussi au pleurer, comme les peinctres nous apprennent. Et nous voyons que l’extremité du rire se mesle aux larmes. Il n’y a point de bonté en nous, qu’il n’y aye quelque teincture vicieuse, omnes justiciæ nostræ sun tamquam pannus menstruatæ [2] comme se montrera en son lieu. Il n’y a aussi aucun mal sans quelque bien : nullum sine authoramento malum est [3]. Tousjours à quelque chose sert malheur : nul mal sans bien ; nul bien sans mal en l’homme ; tout est meslé, rien de pur en nos mains. Secondement tout ce qui nous advient, nous le prenons et en jouissons de mauvaise main : nostre goust est irresolu et incertain ; il ne sçait rien tenir ny jouir de bonne façon : de là est

  1. « La peine et le plaisir, quoique très-différente, sont unies entre elles par un certain lieu naturel ». Tit. Liv. « Il y a quelque volutpé à pleurer ». Ovid.
  2. « Toutes nos justices ressemblent au linge qui a servi ; il y a toujours quelque souillure ». Senec.
  3. Ce passage est traduit par la phrase qui le précède.